Ciel gris et sol boueux… Les pluies incessantes des trois derniers jours ont transformé le chemin de campagne en fondrière. Pas de quoi inquiéter Pensée, la belle jument boulonnaise. Un petit coup de collier et voici la calèche tirée de l’ornière. C’est tout juste si on aura vu se tendre les muscles de la croupe… À la manœuvre, Bernard Defrain. Ex-cheminot, passionné par l’histoire et singulièrement celle de sa commune, il a eu cette idée de proposer une promenade en calèche pour découvrir la bataille du Hamel.
Nous sommes le 4 juillet 1918. Il est 3h10 du matin lorsque les troupes australiennes massées devant le saillant du Hamel, déclenchent un barrage d’artillerie sur les troupes du Kaiser. Dans les semaines qui ont précédé, l’offensive Ludendorff a permis aux Allemands de s’installer sur les hauteurs du Hamel, à deux pas de Villers-Bretonneux, d’où elles dominent les troupes alliées. Ici, le Front est tenu par les Australiens qui ont reçu récemment le renfort des troupes états-uniennes. D’où, le choix de ce 4 juillet, jour de l’Independance Day, pour cette offensive.
Elle sera brève mais furieuse. Quatre cents pièces d’artillerie ouvrent le feu, avant l’assaut donné par une soixantaine de chars. Une première qui allait inaugurer une nouvelle façon de faire la guerre en combinant toutes les armes. Arrivés quelques jours auparavant, les chars ont été débarqués au quai militaire de Longueau. Pour couvrir le bruit des chenilles lors de leur acheminement vers le front, les Australiens ont fait voler la veille, toute la journée, leur aviation au-dessus des lignes allemandes.
Une bataille furieuse mais courte
Dans la grimpette qui conduit au bois de Vaire, Pensée met un nouveau coup de collier pour enlever la carriole. Un bosquet de ronces, un arbre mort… Difficile aujourd’hui de deviner sous les champs de blé qui ondulent, les dernières traces de cette bataille : « C’est là que passaient les lignes allemandes, rappelle Bernard Defrain. Juste en dessous de la ligne de crête. Et on imagine ici pourquoi les alliés voulaient leur enlever cette position… » Vue panoramique sur les collines environnantes. Celui qui contrôle cette hauteur, voit loin, très loin : « Par temps clair on aperçoit la vierge dorée de la basilique d’Albert et le monument de Thiepval ».
À l’avant de la calèche, Pensée se pique d’un caprice. Alléchée par l’avoine sauvage, elle marque une pause dégustation, au grand dam de Bernard, contraint de la rappeler à l’ordre. Finalement, la jument se remet en route et s’extirpe du bois de Vaire, à l’endroit où les Australiens ont innové en parachutant pour la première fois, non seulement des munitions et du ravitaillement, mais aussi des hommes. « Cette bataille a connu toute une série de nouveautés, rappelle Bernard Defrain. Le lieutenant général John Monash ne voulait pas d’un assaut massif comme on avait pu en voir ailleurs… » Ici, les chars ont ouvert la route aux fantassins. Et ce fut un succès total, même si sa portée est restée limitée. En 93 minutes à peine – un record dans ce conflit – les objectifs sont atteints. Les Allemands perdent 2 000 hommes auxquels s’ajoutent 1 600 prisonniers. Les Australiens déplorent 1 600 blessés et tués. Les Américains ont perdu 200 hommes.
Cloc, cloc… Le claquement sec des fers sur le macadam a remplacé le bruit sourd des pas dans les chemins creux. Pensée trotte allègrement et atteint les 6 km/h dans la descente qui mène au village où l’attend sa ration de pulpe de betteraves : « Elle sait qu’au bout de la promenade, il y a une récompense ». Un ultime arrêt au château d’eau où l’on distingue les derniers trous d’obus à moitié comblés et c’est l’entrée dans la commune. Ici, Pensée est une star que chacun salue d’un petit geste au passage. Une star qui entretient à sa manière, le souvenir de ces milliers de jeunes gens tombés pour le contrôle des hauteurs du Hamel